Petites consommations : quels risques ?

AGENT TÉRATOGÈNE

 L’alcool est un agent tératogène reconnu. Est-il raisonnable de chercher la plus petite dose nocive d’un agent tératogène ? A-t-on jamais cherché la plus petite dose nocive de la Thalidomide pendant la grossesse ? Et prendrait-on le risque de prescrire un quart de comprimé de Thalidomide une fois par semaine à une femme enceinte ?

 

DÉFINITIONS DU SAF, DE L’ETCAF ET DES CONSOMMATIONS « ACCEPTABLES »

 Les définitions des formes cliniques d’alcoolisation fœtale retenues par le CRAT ne contiennent pas la notion d’Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale (ETCAF). Cependant, sa prévalence, mondialement estimée à au moins 1 %, dix fois celle du SAF proprement dit, a un retentissement individuel, familial, scolaire, social, économique et judiciaire plus important que le SAF.

Certains conseils de consommation pendant la grossesse, selon le CRAT (8) (moins de 2 unités d’alcool par jour, ou moins de 1 « binge drinking* » par semaine) et selon la revue Prescrire (9) (ne pas dépasser 4 verres par semaine et 2 verres en une occasion), s’alignent en fait sur la pratique des femmes enceintes aux États-Unis, relevées ultérieurement par le Center for Disease Control and Prévention (CDC) (11) : 10 % des femmes enceintes ont consommé de l’alcool dans le mois précédent et 3 % en ont fait un usage aigu (binge drinking). Or ces consommations sont associées à une prévalence de 2 à 5 % de TCAF chez les écoliers du primaire aux États-Unis (11). Le conseil de ne pas dépasser une consommation aiguë par semaine (ce qui peut faire quatre par mois) pourrait bien causer jusqu’à 5% de TCAF chez les enfants du CP.

S’il est impossible de prouver, chez la femme, qu’une seule alcoolisation aiguë suffise à provoquer un TCAF, il existe toutefois (12) une nette corrélation entre la gravité des formes cliniques de l’ETCAF et la répétition des binge drinking (la plasticité réparatrice du cerveau a donc des limites). Une étude de 2016 (13) réalisée chez des nouveau-nés exposés à des quantités d’alcool modérées au cours de la grossesse, montre que le volume de la substance grise de ces nouveau-nés est globalement diminué. D’autres résultats (14) montrent que la prise de deux unités d’alcool (20g d’alcool pur) toutes les 3 à 7 semaines chez la femme enceinte déclenche chez la mère une réaction inflammatoire qui se maintient tout le long de la grossesse et atteint le fœtus. Enfin, une étude épidémiologique anglaise (15) montre que le respect des seuils de consommation d’alcool recommandés par l’OMS (2 unités d’alcool par jour chez la femme) ne protège en rien le futur enfant.

 

LES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES

 La biodiversité fait que les individus se distinguent les uns des autres par de nombreux polymorphismes génétiques que les enquêtes épidémiologiques n’étudient pas. Il en est ainsi des variantes individuelles des enzymes de dégradation de l’alcool. Ainsi, certains polymorphismes des ADH (alcool déshydrogénases) abaissent le QI des enfants de mères qui ont bu de petites quantités d’alcool pendant la grossesse, mais n’abaissent pas le QI des enfants des mères abstinentes (16). Mais la biodiversité des individus est bien plus vaste. Aux multiples mécanismes tératogènes de l’alcool, s’ajoute la variété des facteurs maternels et environnementaux, de sorte qu’il est impossible de définir pour chaque mère et chaque fœtus l’effet de la consommation d’une quantité donnée d’alcool, même estimée « petite ou modérée ». On sait par exemple (12) que l’effet tératogène d’une même quantité d’alcool varie avec l’âge de la mère, sa masse corporelle, son alimentation, ses autres consommations toxiques… Peut-on tenir compte de toutes ces variabilités individuelles dans les campagnes d’information publiques ?